Dans une procédure judiciaire comme dans la relation intime, le pervers narcissique (PN) se livre à un jeu de pouvoir. Son arme de prédilection ? La déstabilisation. Entre manipulation, contradiction, et effets de surprise, sa stratégie vise à neutraliser la résistance de l’autre. Décryptage croisé entre le regard juridique et psychologique.
L’effet de surprise comme stratégie de domination
Lorsqu’on se retrouve face à un pervers narcissique dans un conflit — familial, professionnel, ou judiciaire — il ne s’agit jamais d’un échange loyal. Le PN ne cherche ni la vérité, ni le compromis. Son objectif est de conserver le contrôle, souvent en instaurant un climat de confusion et d’incertitude.
Dans un article éclairant du Cabinet Lado, maître Julie Lado décrit avec justesse ces comportements au sein des procédures judiciaires :
« Le sujet a en effet deux faces, une face aimable, sympathique, convaincante, paraissant bien structuré, sûr de soi et emportant donc souvent la conviction. […] Mais quand la porte se referme, c’est l’autre face du personnage qui surgit pour les proches et là, plus question de séduction. La destructivité en toute impunité va pouvoir s’exercer. »
Cette imprévisibilité n’est pas anodine : elle vise à empêcher la victime de se préparer, de se défendre, ou de comprendre ce qui se joue réellement. Chaque action du manipulateur vise à détourner l’attention, à épuiser l’autre, à le faire douter de ses propres repères.
Un brouillage méthodique de la pensée
La psychologue Maria Hejnar, dans un article publié sur psychologueparis-7.fr, rappelle que la stratégie de déstabilisation ne s’exprime pas uniquement dans les tribunaux, mais aussi dans l’intimité de la relation.
Elle écrit :
« Le pervers narcissique excelle dans la manipulation dont le but est de créer le doute chez une personne ou un groupe. Cela inclut, sans s’y limiter, le déni, le mensonge, la culpabilisation ou encore la contradiction afin d’amener la cible à remettre en question sa propre perception de la réalité. »
Cette technique est connue sous le nom de gaslighting, une forme de lavage de cerveau insidieux, où l’autre est amené à douter de sa mémoire, de son jugement, voire de sa santé mentale. La personne manipulée perd progressivement confiance en elle, se replie sur elle-même, devient plus malléable… et finit par s’en remettre entièrement au pervers.
La mécanique de l’emprise
Le PN agit toujours dans l’ombre. Il n’impose pas frontalement, il insinue, suggère, détourne, disqualifie. Il arrondit les angles mais place ses attaques avec précision, entre deux compliments ou promesses.
Comme l’explique la référence Paul-Claude Racamier, psychiatre et premier théoricien de la perversion narcissique, cité dans l’article de Maria Hejnar :
« Le pervers accompli n’agit jamais en face, mais toujours dans l’ombre et dans les coulisses. Plus le montage pervers est affiné, moins il transparait. »
La victime ne comprend pas toujours ce qui lui arrive. Et c’est bien le but. L’attaque est psychologique, progressive, souterraine. À travers le mensonge, la disqualification, la culpabilisation ou encore l’isolement, le PN détruit les repères identitaires de l’autre.
Pourquoi la victime ne part pas ?
Une question revient souvent : « Mais pourquoi reste-t-elle ? »
C’est mal poser le problème. Le PN ne retient pas sa victime par des chaînes visibles, mais par un piège mental. Il utilise l’effet de surprise émotionnel, l’ambiguïté, la dette affective. Il donne juste assez d’attention ou de tendresse pour maintenir l’autre dans un espoir de réparation.
La psychologue évoque à ce sujet le fantasme de “pouvoir le soigner”. Beaucoup de victimes sont animées d’un désir inconscient de sauver leur bourreau, espérant que l’amour ou la patience transformera le PN. C’est ce qui rend la fuite si difficile.
Dans la procédure : un champ de bataille déguisé
Lorsqu’il s’agit d’un divorce, d’une garde d’enfant ou d’un conflit professionnel, le PN ne cherche pas à trancher un litige, mais à rejouer sa domination.
L’avocate Julie Lado souligne que dans le cadre judiciaire, le PN :
- dépose ses arguments hors délai pour piéger l’autre,
- change d’avocat en dernière minute,
- multiplie les incidents procéduraux pour épuiser la partie adverse.
L’objectif ? Gagner par chaos. Il ne s’agit pas de convaincre le juge, mais d’affaiblir l’autre jusqu’à sa reddition psychologique.
Se protéger : comprendre pour sortir du piège
Face à un PN, l’arme essentielle, c’est la lucidité. C’est comprendre que :
- l’effet de surprise est une arme calculée,
- l’attaque n’est pas rationnelle, mais stratégique,
- rester dans le doute, c’est rester sous emprise.
Il est donc vital de se faire accompagner : par un avocat formé à ces profils, mais aussi par un(e) psychologue spécialisé(e). La reconstruction commence par la validation du vécu : non, ce que vous avez subi n’est pas “dans votre tête”. Oui, ces comportements sont destructeurs, et non, ce n’est pas vous le problème.
Conclusion
La force du pervers narcissique repose sur l’invisibilité de ses méthodes. À travers l’effet de surprise, les contradictions et les jeux d’ombre, il fragilise son entourage et cherche à prendre le contrôle.
Mais en comprenant ses tactiques — dans la relation comme dans le cadre judiciaire — il devient possible de les identifier, nommer, contourner… et s’en libérer.
Pour aller plus loin
Pour approfondir la compréhension des mécanismes de déstabilisation, nous vous recommandons un épisode du podcast de Pascal Couderc, psychologue clinicien et psychanalyste, spécialiste des profils manipulateurs :
Podcast – Le pervers narcissique : les techniques les plus déroutantes du pervers narcissique
> Dans cet épisode, Pascal Couderc détaille les méthodes de manipulation les plus confuses et imprévisibles utilisées par les PN : sabotage positif, renversement de valeurs, effet poupée russe, etc. Ces tactiques sont spécifiquement conçues pour plonger la victime dans un brouillard émotionnel et semer le doute à tous les niveaux.
Il y explore également comment cette instabilité constante — entre compliments, attaques et surprises — entretient une forme de chaos contrôlé typique du fonctionnement pervers narcissique.
Un complément précieux à l’analyse juridique et psychologique croisée de cet article.
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