Illustration d’un dirigeant narcissique en entreprise, numéro 2 toxique manipulant ses équipes dans l’ombre.

Dirigeant narcissique en entreprise : quand le numéro 2 toxique agit en toute impunité

Introduction

En entreprise, les personnalités narcissiques ne sont pas rares. Leur confiance en eux, leur charisme apparent et leur ambition démesurée les rendent souvent visibles, voire admirés. S’ils ne sont pas toujours les PDG (numéro 1), ils occupent fréquemment les positions de numéro 2 toxique : directeurs généraux, membres influents du comité de direction (CoDir), ou patrons de business units.

Quand ces profils sont des narcissiques pathologiques (ou manipulateurs), et que le CEO reste passif ou ne prend pas de mesures pour les encadrer, les conséquences peuvent être désastreuses : désengagement des équipes, sabotage organisationnel, culture d’entreprise toxique, climat de peur, stress au travail, fuite des talents

Dans cet article, nous explorons comment et pourquoi ces profils toxiques en entreprise émergent à ces niveaux, quels sont leurs effets sur l’organisation, et pourquoi leur tolérance par le sommet devient un problème systémique de management toxique.

1. Le profil du dirigeant narcissique en entreprise : un profil séduisant… au départ

Le leadership narcissique, selon la littérature (voir l’article « Leadership narcissique » sur Wikipédia), désigne une posture de pouvoir basée sur le besoin d’admiration, le contrôle de l’image, la surestimation de ses capacités et une faible capacité d’empathie. Ces leaders peuvent se montrer charismatiques, visionnaires, mais aussi autoritaires, manipulateurs et destructeurs.

Une étude de Brunell et al. (2008) démontre que les narcissiques en entreprise émergent plus facilement dans des groupes sans chef formel. Leur prise d’initiative, leur assurance et leur capacité à occuper l’espace relationnel créent une illusion de leadership naturel.

Ce type de profil narcissique pathologique est donc surreprésenté dans les postes à responsabilité intermédiaire, notamment les directions de départements ou de business units. Il s’agit d’un terreau propice à l’installation d’un management toxique, avec des conséquences systémiques.

2. Pourquoi le profil narcissique occupe souvent le poste de numéro 2

Plusieurs recherches (notamment celles publiées dans ScienceDirect et par la Haas School of Business à Berkeley dans cet article) suggèrent que les dirigeants narcissiques peuvent difficilement rester durablement au sommet. Le poste de CEO implique une forte exposition, des contrôles réguliers (audit, board, gouvernance), et une gestion transparente — des environnements où le pervers narcissique au travail est moins à l’aise.

À l’inverse, le poste de numéro 2 toxique permet :

  • une influence considérable sans la même exposition publique. Le n°2 peut diriger les opérations, orienter les décisions stratégiques internes et peser dans l’organisation, tout en restant en dehors du feu des projecteurs.
  • un pouvoir indirect très fort. Il peut influer sur le CEO, orienter la perception qu’ont les autres dirigeants de la situation, et même pratiquer une manipulation en entreprise discrète et efficace.
  • une liberté stratégique pour manœuvrer, sans rendre de comptes permanents à un conseil d’administration ou à des parties prenantes externes. C’est le terreau idéal pour installer une forme d’emprise au travail durable.

3. Les méthodes du dirigeant toxique : manipulation, contrôle, emprise

Le numéro 2 toxique utilise une panoplie de stratégies pour s’imposer et conserver le pouvoir. Ces stratégies ont toutes en commun d’être subtiles, efficaces à court terme, mais destructrices à moyen et long terme.

  • « Kiss up, kick down » : il s’agit de se montrer excessivement flatteur et disponible envers la hiérarchie, tout en étant dur, méprisant, voire violent envers les subordonnés. Cela crée une image de cadre loyal et efficace aux yeux du CEO, tout en instaurant la peur et la soumission dans les équipes. Les victimes ont peu de chances d’être crues, car le comportement visible par le haut contraste radicalement avec la réalité du quotidien.
  • Blocage de l’information : le profil narcissique pathologique numéro 2 filtre ce qui remonte et redescend dans l’organisation. Il devient le point de passage unique de l’information, choisissant ce qui parvient au CEO, et étouffant les alertes ou critiques. Cela renforce son contrôle et sa capacité à pratiquer une manipulation en entreprise continue.
  • Diviser pour régner : en encourageant les conflits internes, les rivalités entre managers, ou les luttes de territoire, le dirigeant narcissique isole les collaborateurs et empêche toute forme de solidarité. Chacun devient son propre ennemi, et le numéro 2 apparaît comme le seul point de stabilité, le seul capable d’équilibrer les tensions.
  • Contrôle par la peur : par des objectifs flous ou inatteignables, des menaces voilées, des sanctions arbitraires ou une surveillance permanente, il installe un climat de peur et d’insécurité psychologique. Les collaborateurs deviennent hypervigilants, désengagés, voire malades. Mais ils n’osent pas parler.

Ces mécanismes sont largement décrits par Ray B. Williams dans son article « How Narcissistic Leaders Make Their Organizations Unethical », qui montre comment ces comportements minent progressivement la culture d’entreprise.

4. Cas d’un numéro 2 toxique en entreprise : exemple fictif

Attention : il s’agit d’une illustration fictive, schématique mais réaliste, basée sur des cas types décrits dans la littérature et observés sur le terrain.

Dans un groupe industriel de 1 500 personnes, Marc est nommé directeur général, en soutien au président fondateur (CEO), Henri. Marc a un parcours prestigieux, un réseau solide, et présente très bien : sûr de lui, charismatique, stratège. Dès son arrivée, il impressionne le board par sa capacité à « mettre de l’ordre » dans l’organisation.

Henri, soulagé de pouvoir se recentrer sur la stratégie externe, lui donne les rênes des opérations.

Ce qui se passe réellement :

Marc enchaîne les présentations brillantes en comité exécutif. Il parle de « transformation », de « performance » et d’ »exigence ». Il cultive une image d’expert rigoureux. Mais en interne :

  • Il installe un climat de peur au travail en licenciant trois directeurs régionaux au bout de 6 mois, sans explication transparente ;
  • Il impose des reporting ultra-fréquents, peu exploitables, destinés à occuper les équipes ;
  • Il pousse les managers à se critiquer entre eux dans des feedbacks croisés, qu’il instrumentalise ensuite ;
  • Il accuse certains collaborateurs de résistance au changement dès qu’ils expriment un doute.

Réactions :

Le turnover augmente, les départs sont silencieux, les signaux RH ignorés. Henri, CEO passif, rassuré par les indicateurs financiers, laisse faire.

Deux ans plus tard, l’entreprise est exsangue : talents partis, climat délétère, clients mécontents. Marc est écarté, mais trop tard : les dégâts sont profonds.

5. Les effets d’un dirigeant narcissique sur l’organisation

Dégradation de la culture d’entreprise

L’égoïsme du profil toxique devient la norme implicite : chacun joue pour soi, les comportements toxiques se banalisent, l’authenticité disparaît. La culture d’entreprise toxique s’installe silencieusement, rendant tout management sain difficile, voire impossible.

Perte de talents

Les profils autonomes, responsables ou éthiques fuient dès qu’ils le peuvent. Ne restent que les soumis, les stratèges cyniques ou les collaborateurs désabusés. L’entreprise perd sa vitalité humaine, son intelligence collective et sa mémoire opérationnelle. C’est un facteur clé de fuite des talents.

Inefficience croissante

Les projets stagnent, les équipes se replient sur elles-mêmes, l’organisation perd en cohésion et en capacité d’innovation. Le court terme domine toute vision stratégique, et les effets du management toxique s’enracinent.

Stress au travail et absentéisme

Le climat de peur, l’hypervigilance, la charge mentale : tout concourt à installer un stress chronique au travail. S’ensuivent burn-out, arrêts maladie, désengagement progressif. Les tensions humaines se multiplient et le lien social se délite, ce qui affecte directement la performance collective.

6. Pourquoi les CEO ne freinent pas les profils toxiques

Il arrive fréquemment que le PDG, même confronté à des signaux d’alerte, choisisse de ne pas intervenir. Plusieurs raisons expliquent ce laisser-faire du CEO face au dirigeant narcissique.

  • Le numéro 2 toxique renvoie souvent une image d’efficacité : il affiche des résultats, s’exprime bien, maîtrise les codes. Cette illusion de performance masque les dégâts humains réels.
  • Certains CEO passifs sont sous son influence directe : flattés, confortés, ils croient avoir trouvé un allié stratégique indispensable.
  • D’autres dirigeants sont aveuglés par les résultats financiers de court terme, qui éclipsent les signaux d’alerte sociaux, psychologiques ou culturels.
  • Enfin, beaucoup d’organisations ne disposent d’aucun mécanisme de feedback fiable ou indépendant. En l’absence de remontées claires, le CEO peut sincèrement croire que tout va bien… jusqu’à l’implosion.

7. Comment reconnaître un numéro 2 toxique dans une entreprise

Plusieurs indices permettent de repérer un dirigeant toxique occupant une position de pouvoir intermédiaire.

  • Le plus évident est un turnover anormalement élevé dans les équipes qu’il encadre : les talents fuient, les départs ne sont pas compensés par des arrivées stables. C’est un signal typique d’un management toxique.
  • Autre signal : le silence organisationnel. Les collaborateurs évitent de s’exprimer, semblent craintifs ou réservés. Les réunions sont descendantes, unilatérales, sans véritable dialogue.
  • Les alertes RH sont fréquentes, mais rarement traitées. La parole des salariés est étouffée par le système d’emprise au travail mis en place.
  • On constate souvent un décalage fort entre l’image affichée et la réalité terrain : la performance individuelle du manager est mise en avant, alors que le collectif souffre en silence.
  • Enfin, un climat de méfiance, de concurrence interne ou de désengagement généralisé est souvent le symptôme qu’un profil narcissique pathologique est à l’œuvre dans l’organisation.

À lire aussi sur les profils toxiques au travail

Pour approfondir cette thématique, nous vous recommandons l’article :

👉 Harcèlement moral au travail : quand le droit rejoint le vécu des victimes de profils toxiques

Conclusion : prévenir l’emprise des profils narcissiques

Un dirigeant narcissique à un poste intermédiaire est une menace sournoise pour l’équilibre humain et stratégique de l’entreprise. Il peut ruiner le moral, la culture d’entreprise et la performance collective tout en conservant une image irréprochable auprès du sommet.

Quand le CEO reste passif, il devient complice de cette destruction lente. L’enjeu n’est donc pas seulement individuel : c’est une question de gouvernance responsable, de santé organisationnelle et de durabilité.

Repérer, comprendre et agir contre ces dynamiques est une nécessité vitale pour toute entreprise qui se veut saine, humaine et résiliente.

Avertissement : cet article est publié à des fins de sensibilisation uniquement. Il ne constitue en aucun cas un avis médical, psychologique ou juridique. Pour toute situation personnelle, il est essentiel de consulter un professionnel qualifié (avocat, thérapeute, médecin, etc.).

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