Le PN veut-il « effacer » l’autre ? Reproduction, appropriation, et perte d’identité
Introduction
Il n’est pas rare d’entendre des victimes de pervers narcissiques confier qu’elles se sentaient “invisibles”, vidées de ce qu’elles sont, comme si ce qu’elles faisaient ou étaient ne leur appartenait plus. Ce sentiment particulier — celui que le PN cherche non seulement à contrôler, mais à effacer, à s’approprier ce que l’autre produit, à le reproduire pour le rendre sien — est un volet peu exploré mais central de la manipulation narcissique.
À partir des travaux de Pascal Couderc (Pervers‑Narcissique.com) et des analyses d’Eugénie Thévenon (ManagerSanté.com), nous allons creuser ce phénomène. Nous verrons comment se manifestent les stratégies d’effacement et d’appropriation, leurs conséquences pour la victime — qu’elle soit enfant, partenaire ou collaborateur —, et comment se reconstruire une identité propre.
Ce que décrivent les sources : l’effacement implicite dans le fonctionnement du PN
a) Pervers‑Narcissique.com : “vider l’identité de ses victimes”
Dans l’article “PERVERS NARCISSIQUE : Tout comprendre en 5 points clés pour le détecter et s’en protéger”, Pascal Couderc décrit explicitement que l’une des intentions du pervers narcissique est de « vider de leur identité » ses victimes, les déposséder de tout ce qui leur tient à cœur afin de les rendre totalement dépendantes de lui.
Autrement dit, le PN ne se contente pas de dominer ou d’avoir le pouvoir ; il efface l’existence propre de l’autre, le pousse à abandonner ce qui le définit — goûts, opinions, valeurs, relations extérieures — pour peupler un espace intérieur contrôlé par le pervers.
b) ManagerSanté.com : perte des repères, déshumanisation et mimétisme
Eugénie Thévenon, dans “Comment peut‑on en arriver à être sous l’emprise du pervers narcissique ?”, explique que l’emprise s’installe par une intrusion progressive dans le psychisme, qui conduit la victime à perdre ses repères, à voir son autonomie de pensée bousculée, sa capacité à “être par elle-même” sapée.
Par ailleurs, la notion de mimétisme est évoquée : le PN “se calque sur la victime”, apprend ses goûts ou aspirations, ses rêves, ses vulnérabilités, pour s’y ajuster — flatter, séduire, puis utiliser ces éléments pour manipuler.
Ces stratégies servent plusieurs fonctions : confirmer le contrôle, brouiller les frontières entre ce que fait l’autre et ce que fait le pervers, et rendre la victime moins capable de se distinguer.
Les mécanismes d’effacement et appropriation
À partir des observations de ces deux sources et d’autres analyses cliniques, voici les principaux mécanismes par lesquels le PN cherche à effacer ou s’approprier l’autre :
- Mimétisme et adaptation initiale : au début, le PN observe, complimente, se fait “copieur” des goûts, projets, rêves de la victime pour créer une proximité. Ce masque flatteur est utilisé pour gagner confiance. (ManagerSanté)
- Collecte d’informations : raconter ses douleurs, ses ambitions, ses fragilités, qu’il utilisera plus tard pour rabaisser ou pour exiger une reproduction/conformité de la personne à ses attentes.
- Dévalorisation des qualités propres : ce que la victime fait bien ou ce qui lui tient à cœur est minimisé ou transformé en critique ou défaut ; le PN peut exiger que la victime change ce trait.
- Usurpation identitaire : le PN prétend posséder ou défendre des idées, goûts, qualités de l’autre comme si c’étaient les siennes ; ou bien il se fait passer pour la “voix” de la victime, en projetant ses propres mots ou désirs sur elle.
- Isolement et disparition sociale : en limitant les relations extérieures, en cultivant la dépendance, en isolant la victime, le PN diminue les sources de validation externe, ce qui amplifie l’idée que la victime ne vaut que par rapport à lui.
Un mécanisme très fréquent dans ce contexte est la double contrainte, que nous avons définie dans notre glossaire. Il s’agit de donner des ordres ou des messages contradictoires, piégeant la victime dans une logique sans issue.
Les effets pour la personne victime
Les stratégies d’appropriation, de mimétisme et d’effacement déployées par le pervers narcissique ont un impact profond et durable sur l’identité et l’équilibre psychique de la victime. Ces effets vont bien au-delà d’un simple mal-être passager : ils peuvent affecter l’estime de soi, la capacité à penser par soi-même et à se positionner dans le monde.
Voici les conséquences les plus fréquentes :
- Perte d’identité personnelle – La victime ne sait plus qui elle est. Ce qu’elle aimait, ce qu’elle voulait devenir, ses goûts, ses valeurs… tout semble avoir été absorbé ou dénigré par le PN. Elle peut se retrouver à vivre une vie en décalage complet avec ses désirs réels, comme si elle portait un masque ou vivait dans un costume cousu par quelqu’un d’autre. Cela peut aller jusqu’à une dissociation partielle : impression d’être spectatrice de sa propre vie.
- Doute et confusion intérieure – Le PN installe subtilement une confusion mentale : la victime n’arrive plus à distinguer ce qui vient d’elle ou ce qui lui a été imposé. Cette perte de repères cognitifs entraîne un brouillage du jugement personnel, et génère une dépendance psychologique à l’agresseur pour valider ou invalider ses pensées. Les phrases typiques comme “tu te fais des idées” ou “tu dramatises” participent à cette désorientation.
- Estime de soi dégradée – La critique constante, l’humiliation insidieuse et le dénigrement des réussites amènent la victime à se percevoir comme incompétente, instable, inintéressante. Même ses qualités — créativité, sensibilité, loyauté — peuvent être utilisées contre elle. Cette perte de valeur intérieure pousse à la soumission et au silence, par peur d’être à nouveau rabaissée.
- Dépendance affective renforcée – Privée de repères et d’affirmation de soi, la victime se raccroche à ce qu’elle connaît : le lien avec le PN. Même toxique, ce lien devient vital, car c’est souvent le seul cadre relationnel qu’elle “maîtrise” encore. Cette spirale enferme la personne dans une attente permanente de validation ou d’affection conditionnelle. C’est un processus proche du lien traumatique (trauma bond) décrit dans notre glossaire.
- Difficultés relationnelles ultérieures – Même après la rupture, la victime peut rester marquée par une peur d’être elle-même dans ses relations : peur de déranger, besoin de se conformer, tendance à trop s’adapter. Elle redoute de faire confiance, interprète des signaux neutres comme des menaces potentielles, et peut adopter une posture de surcontrôle émotionnel. Certains développent une forme d’anxiété relationnelle, caractérisée par la peur excessive d’être rejeté, critiqué ou envahi.
- Isolement social et effondrement émotionnel – L’usure psychique entraîne parfois des épisodes dépressifs, des crises d’angoisse, ou des troubles du sommeil. Dans les cas les plus graves, le retrait social devient total : la victime s’éloigne de ses amis, perd son énergie, évite toute situation de confrontation. Ce repli sur soi est souvent mal compris par l’entourage, qui ne saisit pas toujours la violence invisible subie.
Enfance, appropriation et reproduction : cas d’un enfant
Un exemple concret, inspiré des dynamiques décrites par ManagerSanté :
Un enfant de 6‑7 ans joue au dessin. Il aime dessiner des animaux, a une imagination libre. Le parent PN lui avait initialement encouragé cette créativité. Puis, peu à peu, il commence à corriger “ton style n’est pas assez sérieux”, “tu devrais faire comme moi”, “ce que tu dessines c’est enfantin et ce n’est pas beau”.
Le parent finit par dessiner lui‑même à côté, reprendre les idées de l’enfant, voire les publier ou les montrer comme ses propres œuvres, effaçant l’idée que c’était le dessin de l’enfant. L’enfant, intimidé, arrête d’exprimer ses idées, de créer librement.
Ce type d’appropriation peut aussi se manifester autrement : l’enfant s’identifie au parent, renonce à ses goûts, à ses envies, pour éviter le conflit ou la désapprobation. L’effacement ici est aussi dans l’abandon progressif de ce qui le rend unique.
Pourquoi le PN agit‑il ainsi ? Quelles motivations ?
D’après les sources :
- Vide intérieur, blessure narcissique : Couderc parle du besoin de validation extérieur, de combler un manque.
- Besoin de contrôle : s’assurer que personne n’a “plus que lui”, que son image soit toujours maintenue, que toute adulation vienne de lui.
- Peu d’empathie réelle : le PN ne voit pas l’autre dans sa différence, le considère comme un miroir ou un réceptacle, non comme une personne autonome. (ManagerSanté)
- Ambivalence / dualité : le PN adore le masque social, la façade publique, mais dans l’intimité ou à l’ombre, il use de destructions psychiques pour préserver son image de supériorité.
Ce thème rejoint ce que nous avons exploré dans l’article « Pervers narcissique : pourquoi et comment il copie sa victime » : cette reproduction n’est pas admiration, mais annexion psychique.
Comment se protéger, détecter et reconstituer son identité
Voici des pistes, issues des sources et de pratiques cliniques, pour contrer ces dynamiques :
- Prendre conscience des stratégies : reconnaître que le mimétisme, la flatterie, l’appropriation ne sont pas des compliments ou de l’intérêt innocent, mais des tactiques.
- Reconnaitre des moments où vous avez supprimé ou modifié quelque chose de vous pour “plaire” au PN — journaling, thérapie, ou partage avec des proches.
- Réaffirmer ses goûts, ses valeurs, ses opinions : pratiquer son autonomie, même petit à petit, dans des domaines personnels.
- Poser des limites claires : refuser certaines demandes, reprendre ce qui vous appartient. Cela peut être difficile, voire brutal, mais c’est essentiel.
- S’entourer de soutien : thérapeutes, groupes d’entraide, amis de confiance.
- Reconstruction de l’estime de soi : valoriser ses réussites, ses forces, renouer avec ses passions, ses rêves anciens.
Conclusion
Effacer l’autre, reproduire ce qu’il fait, s’approprier ses idées, ses goûts — ce ne sont pas des accidents de manipulation, c’est un cœur du fonctionnement pervers narcissique. L’effacement de l’identité de l’autre est une manière de maintenir le contrôle, de dominer non seulement ce que fait l’autre mais ce qu’il est.
Mais ce n’est pas une fatalité. Avec de l’information, de la vigilance, du soutien et un travail conscient, la personne peut se redécouvrir. Se reconstruire une identité propre n’est pas seulement se souvenir de ce qu’elle était, mais inventer ce qu’elle veut devenir. Et cela, c’est possible.
Avertissement : cet article est publié à des fins de sensibilisation uniquement. Il ne constitue en aucun cas un avis médical, psychologique ou juridique. Pour toute situation personnelle, il est essentiel de consulter un professionnel qualifié (avocat, thérapeute, médecin, etc.).